Gabriela Mistral

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Gabriela Mistral
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Gabriela Mistral en 1945.
Nom de naissance Lucila de María del Perpetuo Socorro Godoy Alcayaga
Naissance
Vicuña, Drapeau du Chili Chili
Décès (à 67 ans)
New York, Drapeau des États-Unis États-Unis
Activité principale
Distinctions
Auteur
Genres
Signature de Gabriela Mistral

Lucila de María del Perpetuo Socorro Godoy Alcayaga, dite Gabriela Mistral, née le à Vicuña, dans la région de Coquimbo (Chili), et morte le à New York, est une enseignante, diplomate, féministe et poétesse chilienne, dont l'œuvre est couronné par le prix Nobel de littérature en 1945. Elle est considérée comme l'un des quatre grands de la poésie chilienne (avec Pablo Neruda, Pablo de Rokha et Vicente Huidobro).

Biographie[modifier | modifier le code]

Gabriela Mistral jeune.

Gabriela Mistral est née à Vicuña, dans la vallée de l'Elqui, au nord du Chili. Alors que Gabriela n'est âgée que de trois ans, son père, un instituteur, abandonne sa famille, la réduisant ainsi à une vie pauvre et difficile. L'enfant fréquente cependant l'école primaire (avec des interruptions), puis termine son secondaire, avant de gagner sa vie comme aide-institutrice dès l'âge de quatorze ans. Sa mère, Petronila Alcayaga, meurt en 1929 et Gabriela lui dédie la première partie de son livre Tala en 1938.

En 1904, dans le journal local El Coquimbo de La Serena, elle publie sous divers pseudonymes ses premiers poèmes comme Ensoñaciones, Carta íntima et Junto al mar.

En 1906, elle travaille comme institutrice. L'ascension de Mistral dans le système scolaire chilien est liée à la situation politique complexe du pays dans les deux premières décennies du XXe siècle. Le manque d'enseignants est alors si grand et le nombre d'enseignants formés si réduit, surtout dans les régions rurales, que toute jeune personne désireuse de devenir enseignante le pouvait sans trop de peine dans des petites écoles destinées au bas peuple. Enseigner dans les bonnes écoles et gagner un salaire plus important restaient cependant difficile à une jeune femme sans connexions politiques ou appartenance à une classe sociale élevée. En 1907, on lui refusa un poste dans une bonne école et, Gabriela Mistral, identifia plus tard l'obstacle à son embauche : le père Ignacio Munizaga, au courant de ses publications dans les journaux locaux et de ses discours en faveur de la libéralisation de l'éducation et d'un meilleur accès à l'éducation pour toutes les classes sociales, avait manœuvré en sa défaveur.

À cette époque, elle rencontre Romelio Ureta, un employé des chemins de fer, qui se suicide en 1909. Cet évènement tragique a de profondes répercussions sur Gabriela Mistral qui met dès lors la réflexion sur la vie et la mort au cœur de son œuvre. Son existence au quotidien est cependant enrichie par de très nombreuses amitiés, masculines et féminines, qu'elle cultive grâce à une très active correspondance.

La première reconnaissance littéraire de la carrière de la jeune poétesse survient en décembre 1914 quand elle remporte, à Santiago, le prix Juegos Florales avec son recueil Sonetos de la Muerte (Sonnets de la Mort). Elle adopte alors le pseudonyme de Gabriela Mistral, composé à partir des noms de ses deux poètes favoris, Gabriele D'Annunzio et Frédéric Mistral.

En fréquentantant la bibliothèque de La Serena, elle a découvert, en 1904, alors qu'elle n'avait que 15 ans, l’œuvre en occitan de Frédéric Mistral, sans doute grâce à la traduction en espagnol publiée cette même année chez Montaner y Simón Editores. Fascinée par l’écriture du poète provençal, elle crée, en 1919, en compagnie du poète Julio Munizaga Ossandón à Magallanes, la revue féminine Mireya, dont le titre est un hommage au poème mistralien Mirèio. Quelques années plus tard, elle se rend à plusieurs reprises dans le Midi de la France (entre autres, Marseille en 1926, Bédarrides, dans la Villa Saint-Louis, en 1928, Nice en 1932) ; là, elle entre en contact avec les paysages provençaux, découverts lors de ses lectures de Frédéric Mistral. Dans les poèmes Agua et La medianoche du recueil Tala (1934), elle évoque ce séjour, mentionnant les « murs d’Arles », les cigales et le Rhône[1].

En 1922, elle est invitée par le Ministère de l'Éducation du Mexique pour mettre en place un système de bibliothèques et d'écoles dans le cadre de la nouvelle politique d'éducation du Parti Révolutionnaire mexicain. Elle publie en cette même année 1922, son recueil Desolación qui lui vaut une réputation internationale. L'année suivante, en 1923, elle publie Lecturas para Mujeres (Lectures pour Femmes), un texte en prose et en vers qui célèbre la maternité, l'éducation des enfants et l'amour de la patrie.

De retour dans son pays, elle obtient le titre académique de professeur d'espagnol à l'Université du Chili. Puis, confirmant son statut international, elle fait des lectures et des conférences aux États-Unis et en Europe. Elle publie à Madrid Ternura (Tendresse), un recueil de comptines et de rondes destiné aux enfants mais qui est aussi un hymne au corps maternel des femmes.

L'année suivante, elle parcourt l'Amérique Latine - Brésil, Uruguay et Argentine - avant de rentrer au Chili où elle abandonne ses fonctions de professeur. De 1925 à 1934, elle vivra ensuite essentiellement en Europe - en France et en Italie - en participant à des actions pour la coopération intellectuelle de la Société des Nations et en intervenant dans différentes universités essentiellement américaines.

Comme beaucoup d'artistes ou d'écrivains sud-américains, elle sera également jusqu'à sa mort consul du Chili dans de nombreux pays comme les États-Unis, la France, l'Italie et l'Espagne. C'est d'ailleurs à Madrid qu'elle côtoie le poète chilien Pablo Neruda, lui aussi futur Prix Nobel de littérature, dont elle fait reconnaître la valeur. Elle écrit durant cette période des centaines d'articles pour les journaux et les magazines hispanophones du monde entier.

Tala est publié en 1938 à Buenos Aires avec l'aide de son amie de longue date et correspondante Victoria Ocampo. Les bénéfices de librairie permettent de venir en aide aux orphelins provoqués par la guerre civile espagnole. Le recueil comporte de nombreux poèmes qui évoquent les traditions et le folklore des peuples sud-américains et méditerranéens : Gabriela Mistral conduit une réflexion forte sur son identité et sur ses racines multiples, à la fois basques et indiennes, en se définissant comme « una india vasca ».

Elle s'est engagée en faveur des droits des femmes, des enfants et des indigènes[2]. D'après l'historien Jaime Petit-Brehuil, auteur d'une thèse sur les engagements politiques de Gabriela Mistral, la poétesse « avait une pensée politique centrée principalement sur trois concepts. Un: elle était anti-oligarchique; c'est-à-dire qu'elle était contre le 1%, tant au Chili qu'en Amérique latine, qui est le groupe économique qui contrôle le pouvoir. Deux: elle était anti-impérialiste, elle s'opposait à la domination de l’Amérique latine par les États-Unis dans la première moitié du XXe siècle. Et trois: émancipatrice, puisqu'à travers l'éducation et la politique elle proposait l'émancipation de deux groupes : les femmes, qui se battaient pour le droit de vote, et les paysans, puisque la grande majorité de la population chilienne et d'Amérique latine était paysanne ». Elle se tient cependant éloignée des partis politiques[3].

En août 1943 survient le suicide de son neveu de dix-sept ans : la douleur de cette disparition sera l'un des thèmes de Lagar, le dernier ouvrage publié de son vivant, en 1957, dans lequel Gabriela Mistral réagit aussi aux tensions de la Guerre froide. Un ultime recueil, édité en 1967, après sa mort, par son amie Doris Dana, et intitulé Poema de Chile, évoque le retour au Chili de la poétesse morte en compagnie d'un Indien du désert d'Atacama et d'un huemul, un cervidé andin.

En novembre 1945, le Prix Nobel de Littérature lui est décerné[4] : elle est le premier écrivain d'Amérique latine à le recevoir, le . Elle reçoit également, en 1947, le titre de doctor honoris causa du Mills College d'Oakland, en Californie, avant d'être couronnée en 1951 par le Prix national de Littérature.

Il existe une stèle en son honneur dans le jardin de la Dar Sebastian, villa construite par un aristocrate roumain à Hammamet en Tunisie.

D'une santé fragile, aggravée par ses nombreux voyages, elle passe les dernières années de sa vie à Hempstead, dans l'État de New York, où elle meurt d'un cancer le , à l'âge de 67 ans. Sa dépouille est ramenée au Chili dix jours plus tard et le gouvernement chilien décrète trois jours de deuil national tandis que des centaines de milliers de Chiliens saluent leur poétesse en assistant à ses funérailles.

Regards sur l'œuvre[modifier | modifier le code]

  • Les thèmes qui animent l'œuvre de Gabriela Mistral sont variés et marqués par une grande humanité et aussi, souvent, une profonde tristesse. Aux sujets lyriques comme l'amour du pays natal (les paysages andins) et la nostalgie, la maternité et l'enfant (bien qu'elle n'ait jamais été mariée ni mère), ou encore l'amour et la mort, s'ajoute une préoccupation constante pour les humbles qu'accompagne sa foi catholique et "fransciscaine". La place faite à ses racines indiennes contribue encore à la force d'une œuvre marquante et personnelle.
  • Formellement, sa poésie est faite de simplicité, ce qui rend ses textes proches du peuple qu'elle n'a jamais renié.
  • Premier écrivain d'Amérique latine à obtenir le Prix Nobel de Littérature (en 1945), Gabriela Mistral jouit d'un grand prestige dans son pays, à l'égal peut-être de Pablo Neruda, autre poète chilien couronné en 1971. Elle est également très estimée dans le monde hispanophone et aussi aux États-Unis. Elle est moins connue en France où ses œuvres ont été peu publiées, mises à part les traductions de Roger Caillois en 1945 et de Claude Couffon en 1989.
  • Les féministes lui savent gré d'avoir traité de la condition des femmes en Amérique latine dès 1923 dans Lecturas para Mujeres et aussi d'avoir rendu hommage à leur corps maternel dans Ternura en 1924. Influencée par Jacques Maritain, elle est reconnue comme une pionnière des combats pour la dignité féminine.

Œuvres[modifier | modifier le code]

Recueils de poésie originaux[modifier | modifier le code]

  • Sonetos de la muerte (1914)
  • Desolación (1922)
  • Lecturas para mujeres (1923)
  • Ternura (1924)
  • Nubes blancas y breve descripción de Chile (1934)
  • Tala (1938)
  • Antología (1941)
  • Lagar (1954)
  • Recados contando a Chile (1957)
  • Poema de Chile (1967, publication posthume)

Publications en français de ses œuvres[modifier | modifier le code]

  • Poèmes choisis, traduit par Mathilde Pomès, extraits de Desolación et de Tala, Paris, Stock, 1946 - Préface de Paul Valéry
  • Poèmes, traduit par Roger Caillois, édition bilingue, extraits des recueils Ternura et Tala, Paris, Gallimard, coll. « Du monde entier », 1946
  • Recados et autres poèmes, traduit par Francesca Prat i Barri, édition bilingue, Paris, Magraner, 1948
  • D'amour et de désolation, poèmes traduits, choisis et présentés par Claude Couffon, édition bilingue, Paris, Éditions de la Différence, coll. « Orphée » no 20, 1989 (ISBN 2-7291-0397-X)
  • Poèmes choisis, Paris : Presses du Compagnonnage, coll. « Guilde des bibliophiles. Collection des prix Nobel de littérature », 1963 ; réédition, Paris, Rombaldi, coll. « Collection des prix Nobel de littérature », 1968
  • Gabriela Mistral. De désolation en tendresse (Anthologie de poésie et prose), trad. en français par Laëtitia Boussard et Benoît Santini, Éditions Caractères, collection Planètes, février 2018, 249 p. (ISBN 978-2-85446-599-0)

Bibliographie[modifier | modifier le code]

Études sur Gabriela Mistral[modifier | modifier le code]

  • Gabriela Mistral, par Mathilde Pomès, Paris, Seghers, coll. « Poètes d'Aujourd'hui » no 103, 1963 ; réimpression 1976
  • Gabriela Mistral publique et secrète, par Volodia Teitelboim, Paris, l'Harmattan, 2003

Citation[modifier | modifier le code]

Cordillère

« Chair pétrifiée de l’Amérique, / hallali de pierre éboulée, / rêve de pierre, notre rêve, / pierres du monde avec leurs pâtres ; / pierres qui se dressent d’un coup / afin de s’unir à leurs âmes ! / Dans la vallée close d’Elqui, / par pleine lune de fantôme, / nous doutons : sommes-nous des hommes / ou bien des rochers en extase !

Les temps reviennent, fleuve sourd, / et on les entend aborder / du Cuzco la meseta, marches / grimpant à l’autel de la grâce. / Sous la terre tu as sifflé / pour le peuple à la peau ambrée; / ton message, nous le dénouons / enveloppé de salamandre; / et dans tes brèches, par bouffées, / nous recueillons notre destin. »

Gabriela Mistral (1889-1957) - Prix Nobel 1945, « Cordillera », éditions Orphée/La Différence, 1989. Traduit de l’espagnol (Chili) par Claude Couffon. [1]

Dans la culture[modifier | modifier le code]

Hommage[modifier | modifier le code]

Depuis 1976, un cratère de la planète Mercure est nommé Mistral en son honneur[5].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. Benoît Santini, « Frédéric Mistral, Mirèio et la Provence dans l’œuvre poétique et narrative de la Chilienne Gabriela Mistral (1889-1957) », (collectif) Sus la mar de l’istòri. Lectures et réceptions de l’œuvre de Frédéric Mistral, Éditions Classiques Garnier, Collection Études et textes occitans,‎ , p. 167-182 (ISBN 9782406080374, lire en ligne)
  2. « Gabriela Mistral, seis décadas de un legado multicultural », sur www.telesurtv.net,
  3. (es) « Egresado de Historia UV expondrá “El pensamiento político de Gabriela... - Portal de Noticias de la Universidad de Valparaíso, Chile », sur pdn.uv.cl,
  4. « 
    15 novembre 1945 / Gabriela Mistral, Prix Nobel de littérature

     »
    , sur Terres de femmes (consulté le 29 août 2020)
    .
  5. « Planetary Names: Crater, craters: Mistral on Mercury », sur planetarynames.wr.usgs.gov (consulté le 16 juillet 2020)

Annexes[modifier | modifier le code]

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Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]